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Préambule
Cette enquête publique vise à examiner la « Demande d’autorisation environnementale pour le projet de création et d’exploitation d’un nouveau site de stockage, conditionnement et distribution de fluides frigorigènes et de traitement de déchets gazeux » présentées par la société CREALIS sur la commune du Péage-de-Roussillon, projet classé « Seveso seuil haut » en raison de l’emploi de gaz inflammables liquéfiés et des quantités stockées.
En préambule aux remarques qui suivent, nous souhaitons alerter sur le manque de sécurité qui encadre les enquêtes publiques effectuées de manière dématérialisée, comme l’illustre le récent scandale de l’enquête qui s’est déroulée à Moulézon dans le Gard. Dans ce contexte, un élu favorable au projet soumis à l’enquête a ainsi fabriqué de toute pièce 700 faux avis déposés sur le registre numérique dédié, pour tenter d’orienter le résultat de la commission d’enquête. Nous osons espérer qu’une vérification des avis émis sera effectuée par les instances en charge de ce dossier particulier.
Pour étayer la plupart de nos remarques, nous nous sommes appuyés sur l’avis rendu par la MRAe (Mission Régionale d’Autorité environnementale) rendu le 11 septembre 2023
Remarques et observations de l’association Vivre
- 1. La description et le devenir des sites existants, parties intégrantes du projet, n’est pas présentée alors que leurs fermetures ou évolutions pourraient avoir des conséquences sur l’environnement. D’une manière générale, les affirmations contenues dans le dossier sont peu justifiées (page 3/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023).
- 2.En matière d’emploi, le site compterait dix employés en phase d’exploitation. Le dossier ne précise pas combien d’emplois seront impactés par le transfert des activités des sites de Saint Priest et de Bry-sur-Marne. (page 7/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023)
Nulle mention des emplois supprimés dans la réponse de CREALIS datée de novembre 2023. (page 3/16 de la réponse de CREALIS)
Nous nous étonnons du soutien affiché par des élus locaux qui soutiennent ce projet d’implantation au nom « du progrès et du dynamisme sur ce territoire de la chimie ». Faire courir à la population riveraine un risque supplémentaire non négligeable pour si peu de bénéfice semble dérisoire.
« Tout ça pour ça » constituera notre remarque en la matière.
- 3. En matière de qualité de l’air, le projet va générer le rejet de gaz dans l’atmosphère, correspondant à des fuites lors des différentes étapes de traitement des déchets. Compte tenu du fort potentiel de réchauffement de ces gaz, une mesure d’évitement consistant à capter les fuites doit être prise. « Il convient de renforcer les mesures prises pour ne pas dégrader la qualité de l’air et présenter l’évaluation des risques sanitaires liés au projet et les mesures prises en conséquence, en particulier du fait de la très forte toxicité des produits de décomposition de l’hexafluorure de soufre (fluorures, fluorure d’hydrogène) ». (page 3/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023).
Compte tenu des dangers pour la santé humaine de l’hexafluorure de soufre (SF6) relevés notamment sur la fiche toxicologique qui lui est consacrée par l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles), nous insistons sur la nécessité de contraindre l’industriel à revoir sa copie. L’estimation actuelle de 10% de fuite des volumes traités lors des opérations de dépotage, traitement et conditionnement (page 12/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023) est inacceptable. Le dossier n’explique pas pourquoi il n’est pas envisagé de capter ces fuites de gaz afin d’éviter leur rejet dans l’atmosphère. Prétendre résoudre le problème par des mesures de contrôle des émissions fugitives réalisées une fois par an sur toutes les installations mettant en œuvre du SF6 (page 11/16 de la réponse du pétitionnaire) relève de la bouffonnerie. Plus loin dans la réponse (page 12/16), il est indiqué que « Pour le SF6, fort gaz à effet de serre, un contrôle annuel sera réalisé pour tous les points susceptibles de fuir ». L’industriel ne semble absolument pas prendre en considération une éventuelle fuite qui se produirait le lendemain du contrôle et serait ainsi détectée un an après.
Le dossier indique que les principales sources d’émissions de GES proviendront des fuites de gaz sur site ; toutefois le bilan carbone du projet doit être complété par les émissions de gaz à effet de serre liées au transport, en déterminant les distances parcourues par les poids-lourds, et à l’électricité nécessaire au fonctionnement du site. Ce bilan carbone doit également être actualisé pour être en cohérence avec les volumes de déchets qui seront traités. La réponse du pétitionnaire (page 12/16) semble dérisoire au vu de l’importance du sujet : « CREALIS considère que l’impact du transport et de l’électricité sur les émissions de gaz à effet de serre du site sont négligeables par rapport aux émissions liées au traitement des déchets ».
Toujours en matière de qualité de l’air, le dossier affirme11 que le transport assuré par l’industriel vers son site des Pays-Bas, serait notamment trop coûteux pour acheminer les déchets. Cette affirmation doit être étayée sachant que l’ensemble des déchets traités provient du monde entier12 et que cette localisation pourrait permettre le transport des marchandises par voie maritime, moins émetteur que le transport routier13 (page 9/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023).
11 Page 96 de l’étude d’impact
12 Pièce jointe n°51 « origine géographique des déchets »
13 Source Ademe
Lorsque les matières premières nécessaires à l’exploitation de cette activité de traitement de déchets de fluides frigorigènes proviennent, aux dires de l’industriel lui-même, du monde entier, l’installation sur son site de Bergen-op-Zoom (Pays-Bas) qui a déjà une activité similaire, à proximité immédiate des installations portuaires d’Anvers, l’un des plus grands ports européens, semble beaucoup plus appropriée. La réponse du pétitionnaire datée de novembre 2023 (page 9/16) évoque un marché français comme argument décisif, mais nous ne saisissons toujours pas ce qui empêche l’expédition des bouteilles de récupération « en provenance du monde entier » vers les Pays Bas où le Groupe Dehon est déjà implanté.
Le dossier présenté évoque les hausses prévisibles du trafic routier inhérentes au projet. L’impact y est qualifié de négligeable, ce qui reste à démontrer. Mais à aucun moment, l’utilisation du réseau ferré pour le transport des déchets et des produits n’est envisagée alors que, comme le souligne ledit dossier, « le réseau ferroviaire a fortement été utilisé au droit de la plateforme chimique par le passé et est toujours employé sur sa partie sud » 16 .
16 Page 59 de l’étude d’impact
Personne, parmi la population riveraine impactée n’est en mesure de comprendre pourquoi l’industriel CREALIS préfère infliger à la planète le bilan carbone (et ses effets collatéraux) du transport par voie terrestre vers l’Isère, alors que le site de la plateforme Osiris bénéficie d’un accès direct au réseau ferré français. Cette implantation semble décidément voulue en dépit du bon sens.
- 4. Concernant les effets cumulés avec d’autres projets, le dossier ne les étudie pas, indiquant ne pas avoir connaissance d’un projet dans le voisinage de son site pouvant en générer. Pourtant, l’Autorité environnementale a émis des avis sur des projets implantés soit à proximité de la plateforme, soit à l’intérieur même de celle-ci pour lesquels les effets cumulés sont à évaluer (page 15/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023). Nous relevons ainsi :
• projet INSPIRA – ZAC de la zone industrialo-portuaire de Salaise-sur-Sanne et Sablons, porté par le syndicat mixte de la zone industrialo-portuaire de Salaise-Sablon, avis n° 2017- ARA-AP-00482, dans la continuité de la plateforme chimique de Roussillon ; Mission régionale d’autorité environnementale Auvergne-Rhône-Alpes projet de création d’un site spécialisé dans le conditionnement, le stockage, la logistique et la régénération de gaz sous pression Avis délibéré le 22 septembre 2023 page 14 sur 16
• projet d’implantation d’une plateforme de stockage de houille, de quartz et de bois, porté par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et par le groupe Charles André (GCA), avis n° 2019-64, au sud de la plateforme de Roussillon (ZAC Inspira) ;
• projet de création d’une unité complémentaire de fabrication de produits de type « silicones modifiés », porté par la société Thor, avis n°2017-ARA-AP-00186, dont le site est implanté au sud de la plateforme chimique ;
• projet Paracétamol, porté par la société Novacyl, avis n°2022-ARA-AP-1470, implantée au sein de la plateforme chimique.
Le projet se positionnant au sein d’une plateforme chimique comprenant 15 autres entités, les niveaux d’émissions atteints à l’échelle de la plateforme et leurs conséquences pour les riverains sont à étudier et à prendre en compte. Les effets cumulés du projet avec les différents projets pour lesquels l’Autorité environnementale a émis des avis doivent impérativement être évalués, et plus largement avec les activités implantées au sein de la plateforme chimique de Roussillon.
La réponse du pétitionnaire est erronée (page 13/16). Il indique une distance de 3 kilomètres avec le projet Inspira, alors que la distance serait plus proche des 2 kilomètres, avec un impact très fort des vents dominants dans le secteur soufflant du Nord vers le Sud.
Ignorer le cumul des effets occasionnés par toute nouvelle implantation sur ce site déjà sensible relève du non-sens et de l’aberration intellectuelle.
- 5. Concernant la ressource en eau, les prélèvements, en dehors de l’usage sanitaire provenant du réseau public d’eau potable, 20 000 m³ d’eau seront consommés annuellement pour la production d’Adblue, cette eau sera issue des pompages dans la nappe réalisés par le gestionnaire de la plateforme. Le dossier indique que l’impact sur la ressource en eau sera négligeable au vu de la proportion que représentent les besoins de l’entreprise par rapport au volume prélevé par la plateforme chimique. Cet impact ne peut être qualifié de négligeable, car il s’ajoute aux prélèvements existants et représente à lui seul la consommation annuelle de plus de 380 personnes24 . (page 13/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023)
24 Selon l’ADEME, un Français consomme 143L d’eau par jour.
Alors que l’étude d’impact indique que l’activité du site comprendra une unité de fabrication d’Adblue, le résumé non technique de l’étude d’impact ne l’évoque pas. De plus, le résumé affirme que le projet ne sera pas à l’origine de prélèvements d’eaux souterraines alors que la fabrication d’Adblue nécessite le pompage dans la nappe de 20 000 m³ par an. En outre, il souffre des mêmes approximations que l’étude d’impact et d’un manque d’illustrations, ce qui ne facilite pas l’appropriation du projet, des enjeux, des impacts et de l’adéquation des mesures proposées. (page 15/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023)
Comme mentionné précédemment lorsque nous avons évoqué les effets cumulés avec d’autres projets, toute nouvelle installation sur cette zone ne peut être envisagée déconnectée de son environnement immédiat. Il est indispensable d’examiner toute nouveau projet dans son milieu. Et dans le cas qui nous intéresse, en matière d’utilisation de la ressource en eau, nous rappelons que l’un des projets voisins, celui baptisé Inspira mentionné précédemment, s’est vu retirer Utilité publique et Autorisation environnementale en raison principalement de pressions intolérables sur la nappe phréatique en application de deux décisions récentes du Tribunal administratif de Grenoble et de la Cour d’appel administrative de Lyon.
- 6. Concernant les effets domino, l’analyse menée n’a pas identifié d’effets dominos susceptibles d’impacter les installations de CREALIS conduisant à des effets hors site. Cependant l’analyse ne montre pas que les installations de CREALIS ne sont pas susceptibles de générer des effets dominos sur des futures entreprises voisines de l’ancien site de CERDIA. (page 16/16 de l’avis rendu par la MRAe le 22/09/2023)
Ignorer l’éventualité d’effets domino générés par l’activité de l’industriel CREALIS sur sa simple bonne parole relève de l’inconscience. Nombreux sont les « voisins » potentiellement touchés par des effets domino. Pour n’en citer qu’un seul, celui d’Engrais Sud Vienne a la capacité, et l’autorisation, de stocker jusqu’à 9 000 tonnes de nitrate d’ammonium. Nous rappelons pour mémoire que la quantité de ce produit qui a explosé dans le port de Beyrouth en août 2020 est estimée à 2 750 tonnes.
- 7. Nous terminons cette liste de remarques déjà riche par les aspect oubliés de cette enquête publique. Ainsi, nous ne trouvons aucune trace d’une quelconque étude sur :
- les effets « cocktail » de ce projet de traitement de déchets de fluides frigorigènes,
- les risques d’ingestion des rejets de l’installation alors que la population du secteur présente un très fort taux d’auto-consommation (cf. Étude radiologique du site –CNPE EDF –St Alban 10/2021)
Conclusion
L’examen attentif, et non exhaustif, de ce dossier d’enquête publique nous conduit à une appréciation beaucoup plus nuancée que celle du pétitionnaire qui présente, lui, un projet très vertueux. Nous sommes nettement plus réservés à ce sujet.
Nous espérons que le commissaire-enquêteur en charge de cette enquête tiendra compte de l’ensemble de nos remarques et observations dans la balance qui le conduira à se prononcer sur ce projet. Pour notre part, nous, membres du Conseil d’Administration de l’association Vivre, y sommes expressément défavorables et nous demandons que l’enquête publique délivre un avis négatif au projet tel qu’actuellement présenté.